LE BUS 19 (Ange GNALY)
Trois secondes. Des voitures, encore des voitures. Toujours des voitures. Des klaxons aussi. Aussi inhabituel que cela puisse paraître, c’est un ballet de voitures qui nous fait attendre sur le trottoir depuis maintenant dix minutes. Je ne suis pas seule. Il y a à côté de moi un couple et son enfant de cinq ans, une élève du lycée de jeune fille de Bingerville qui semble encore téter sa mère, quelques jeunes qui ont vendu au sport les dernières réserves de sueurs que contenaient leurs corps. Les voitures continuent d’avancer, mon esprit aussi, il est d’ailleurs de l’autre coté de la route. Mes pieds eux sont solidement fixés au sol qui les martyrise depuis longtemps déjà. Ma tête continue d’essuyer les nombreuses rafales du soleil, rayons de feux qui viennent trancher tout espoir de beau temps pour le reste de la journée. Enfin, les voitures nous laissent un temps de répit. Traversez ! Semblent nous dirent les quelques voitures dont le bruit des klaxons disparaît dans le néant.
Traverser maintenant, c’est comme arracher un bout du paradis à des milliards de gardiens lourdement armés. Nous amorçons la marche vers la victoire. Soudain un enfant fait son entrer dans la scène que nous jouons en venant sur le goudron. Je me demande bien s’il ne veut pas quitter le jeu de la vie ? Sa mère, sans voix, sans geste, percluse par sa stupéfaction est déjà trempée de larmes. La cause : un chauffeur de minicar qui se croyait sur un circuit de rallye fonce droit sur notre bambin avec son bolide. Mon voisin lui a déjà le cœur et la pisse dans la culotte. Les sportifs ne daignent même pas lever le petit doigt. Il faut que j’intervienne. Mais moi, une femme avec en plus un bébé sur le dos. Vraiment difficile. Mais les hommes autour de moi ? Ne sont-ils pas faits d’acier et moi d’argile. Personne ne se décide. Je me lance donc (Je parie qu´une poule aurait eu des dents si ces poltron avaient réagis). Quelque secondes pour réagir, le saisir et sauter avec lui de toutes mes forces. Je fonce, le mini car aussi. Le chauffeur essai de freiner, mais c’est trop tard, il est à notre niveau. On est perdu ! Peut être pas ! Je pousse le petit sur le trottoir, je suis projeté quelques mètres plus loin, le mini car est toujours sur sa lancé, le chauffeur après une première tentative manqué essai de m’évité cette fois-ci.
Le bruit effraya même les oiseaux à quelques mètres de la pharmacie principale. On aurait même dit que Bakary, sourd-muet et vendeur de bijoux avait été guérie de sa surdité. Il était l’un des premiers sur les lieux et le spectacle qu’il vit le laissa sans voix. La tête de Virginie n’était plus qu’un mélange pâteux de peau, chair, os et cerveau. Tout Bingerville fut en deuil ce jour là. Ma mère était devenue l’héroïne d’un jour. Elle fut l’héroïne d’un miracle et moi le miraculeux de l’héroïne. Sur son dos, projeté à la vitesse de la lumière sur le goudron, je n’avais aucune égratignure, ni côte brisée, rien, idem. Ce jour là, par la faute d’un gamin imprudent, je suis devenue orphelin généraliste. Mon père était mort quelques semaines plus tôt. La mère de l’enfant décida de m’élever. Ma famille accepta. Aujourd’hui moi et Bruno, les deux miraculé de l’accident travaillons ensemble dans la même structure. Même si je ne l’ai jamais connu, je suis fière de l’acte héroïque de ma mère et je me cache très souvent dans ma chambre pour pleurer. Les gens disent que moi et mon frère avons sept vies comme les chats mais je n’y crois pas trop. On a juste eu la chance le jour de l’accident. Bruno sait que dans notre discussion, j’ai perdu mon latin. Mais il parle de tout et de rien, surtout du 7 Août 2011 qui, dans deux jours, sera marqué par la première fête nationale de la cote d’ivoire après la crise post-électorale. Moi cela ne m’intéresse pas. Il est 6h et mon seul soucis est d’arrivé à l’heure au travail. Le chauffeur du bus 19 semble avoir compris mon message. Il met les gaz.
Ange GNALY
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