AVEC L’AMOUR ON PEUT GUÉRIR (1) (NENE Fatou)
Ayaba Koumoué se tint la tête entre les mains. Non Dieu pas ça, pas ça. Je ne veux pas mourir. Cela ne peut être vrai. Moi séropositive, non ! Elle éclata en sanglots. Elle pleura, pleura si bien qu’elle finit par sombrer dans un sommeil.
Après quelques heures de sommeil agité, elle se réveilla. Assise dans la pénombre de sa chambre, elle regarda son sac jeté sur la table de nuit. A côté, une enveloppe kaki ouverte. Ayaba se souvint et se remit à pleurer de plus belle. A cet instant précis, elle entendit quelqu’un frapper à la porte. Elle n’osa pas faire de mouvement. La personne insista en l’appelant.
- Ayaba ! Ayaba ! C’est moi Namba. Ouvre. N’obtenant pas de réponse, elle s’arrêta, prit son portable et tenta de joindre Ayaba. Celle-ci était sur répondeur. Elle laissa un message.
- Salut ma puce ! T’es où ? Je suis venue te chercher pour aller au diner de Cécile, comme prévu. Il est presque l’heure. Et comme tu sais qu’elle compte sur nous pour la cuisine, je vais donc y aller. Appelle-moi dès réception de mon message. Bisous.
Ayaba sortit de sa torpeur ; elle avait complètement oublié que Namba devait passer la chercher. Elle se leva se débarrassa deses habits et rentra dans sa salle de bain, se mit sous la douche, ouvrit le robinet. Elle resta sous le jet d’eau pendant un bon moment. Puis elle alla se coucher, sans rien avaler. Dès l’aube son estomac lui réclama ses droits. Et là, elle fut bien obligée de se préparer quelque chose à manger. Elle entra dans la cuisine, remplit la cafetière d’eau et la déposa sur le feu. Et tira une chaise pour s’asseoir, le regard tourné vers les flammes. Le film de sa vie défila sous ses yeux. Comme carte d’identité, elle pouvait dire : Ayaba Koumoué, 32 ans, assistante de Direction dans une grande société immobilière de la place. 1, 80m de teint noir d’ébène, comme chez nos parents N’Zima, les yeux de biche. Elle ne laissait personne indifférente. Cependant, elle n’avait d’yeux que pour Zokora Yanick, qui demanda sa main à la fête de son vingt-huitième anniversaire. Ce fut un ménage merveilleux, jusqu’à ce qu’un mal pernicieux vint y mettre fin en emportant son mari.
Et depuis cet évènement, Namba Tieffi ne cessa de la harceler en lui demandant d’aller faire son test de dépistage VIH, puisqu’un mystère semblait planer autour de la mort de son mari. Elle n’avait jusqu’alors accordé aucun crédit à ce que disait mon amie d’enfance. Cependant, elle avait révisé sa position après une absence du pays. Durant ce voyage, elle fut internée durant trois mois dans une clinique. Diagnostique : infection gastrite, avec perte d’appétit, diarrhée.
De retour au pays, bien que remise, elle avait décidé de faire un bilan. Elle avait été reçue par un assistant social au dispensaire anti-vénérien de l’Institut d’Hygiène Publique de Treichville, pour son test de dépistage. Après les questions et les conseils d’usage, son sang avait été prélevé. Tout s’était bien passé ; et pour les résultats, le rendez-vous fut pris pour 15 jours. Le jour-J, arrivée à 14h30mn, elle fut reçue 15mn plus tard. Il y avait une pile d’enveloppes sur le bureau ; M. Koffi André en saisit une et dit :
-Etes-vous prête à entendre votre résultat quel qu’il soit ?
- Bien- sûr. C’est pour cette raison que je suis là.
- Je tiens également à vous dire que nous sommes à votre disposition pour tout…
Là elle commençait à avoir très peur, qu’il arrête tout ce discours et lui dise son résultat ou bien qu’il lui remette son enveloppe.
Il ouvrit l’enveloppe, et dit : « je suis vraiment désolé Madame, vous êtes séropositive. Comme je vous l’ai dit, nous sommes entièrement à votre écoute. » Sa voix lui parvenait de très loin. Elle prit l’enveloppe et sortit sans un mot…
La sirène de la cafetière au feu vint mettre fin à ce voyage dans le passé. Elle se leva pour se préparer un bol de lait chaud avec du pain aux raisins.
Sa décision fut prise : elle n’en parlerait à personne ; mais avant elle devait retourner au DAV.
A neuf heures, elle était déjà prête pour aller à l’hôpital. Revigorée et n’ayant qu’une pensée : « DIEU ne charge aucune créature d’un fardeau qu’elle ne peut supporter. A Lui nous devons nous en remettre ».
Arrivée parmi les premières personnes, elle fut immédiatement reçue. Après un long entretien, elle sortit du bureau, plus légère qu’à son précédent passage. Cependant, elle n’était pas prête à partager ce secret. Elle ralluma son portable. Aussitôt, il sonna. C’était Namba.
- Allo ! « Fantômette ». Ici la terre. Qu’as-tu à dire pour ta défense ?
- Bonjour Namba ! Je suis vraiment désolée pour hier. Je passerai chez toi ce soir… Non passe à la maison ce soir, on parlera.
- Je crains que ce ne soit pas possible. Tu le sais.Depuis que je ne travaille plus, je fais de l’assistanat aux personnes malades. Et l’ONG KENNEYA doit se rendre à Bangolo, dans le cadre de ses activités. Je fais partie de la délégation. C’est une campagne de lutte contre le Sida et les MST. Avec la crise qui secoue notre pays, il ya une recrudescence …
- Tu n’arrêtes donc jamais, l’interrompit – Ayaba.
- Tu sais ! Je suis toujours là où je peux me rendre utile.
- Et quand est-ce que tu reviens ?
- La mission dure un mois ; mais dans quinze jours, je serai de retour, si Dieu le veut.
- Prends soin de toi et fais bon voyage.
- Merci. Bisous. Et à très bientôt.
En remettant le portable dans le sac, Ayaba pensa encore à Namba. Elles se connaissaient depuis la maternelle. Selon Namba, elle était la sœur que sa mère ne lui avait pas donnée. A 31 ans, elle était toujours célibataire. Elle était commerciale dans une société de la place, qui avait dû réduire son effectif du fait de la crise qui secouaitle pays.A temps partiel, elle faisait du bénévolat dans les centres de santé. Maintenant elle travaillait à plein temps avec l’ONG KENNEYA. Elle n’avait pas d’enfant et rêvait d’en avoir. Et les jeudis, elle se consacrait aux enfants orphelins du sida. Elle leur accordait toute son attention lors de ses visites. C’étaient de nombreux cadeaux, des séances de lecture, de jeux. Des moments d’intense bonheur qu’elle partageait avec les enfants en leur faisant comprendre qu’ils n’étaient guère différents des autres enfants. Ils n’étaientpas le fruit d’aucune malédiction, méritaient d’aimer et d’être aimés.
Namba avait une côte de popularité auprès des enfants qui attendaient toujours le jeudi avec impatience, surtout Stéphane Désiré Tondo, orphelin âgé de 5 ans, recueilli au centre 3 ans auparavant. Aussi prévenait-elle lorsqu’elle partait en mission et n’hésitait pas à téléphoner pour avoir les nouvelles des enfants.
Après son entretien au DAV, Ayaba décida d’aller rendre visite à sa mère à Attécoubé. Mme Koumoué Yeleen habitait dans la concession familiale. Depuis le décès de son mari, cette mère de trois enfants, femme au foyer, s’était transformée en assistante sociale. Elle venait en aide aux plus démunis…
Après quelques minutes de circulation, Ayaba gara sa voiture devant la cour familiale. Elle la regarda, nostalgique. C’était une grande concession de type colonial avec neuf pièces et une grande salle de séjour. A la mort de leur père, Ayaba et ses frères voulurent que leur mère déménage, jugeant la cour trop grande pour elle. Mais elle s’y était opposée catégoriquement. Au fil des années, Mme Koumoué avait su entretenir le souvenir de son mari. Petit à petit, elle avait transformé la demeure familiale en un centre social. Ayaba admirait vraiment sa mère ; ses prouesses lui étaient toujours parvenues. Mme Koumoué, qui rêvait de fonder une grande famille, n’avait fait que trois maternités : deux garçons et une fille. L’aîné, Yann-Isaack était marié, père de trois garçons ; sa femme attendait leur quatrième enfant. Toute la famille souhaitait une fille. Le cadet, Ismaël, était directeur d’une radio de proximité, marié père de deux enfants : une fille (l’homonyme de sa mère) et un garçon Yoram-Evrard. Et la benjamine n’était autre que Koumoué Ayaba.
Cette dernière était en admiration face à sa mère. Malgré les supplications de ses enfants, elle avait refusé de déménager. Au regard des actes posés, on ne pouvait que la féliciter pour son parcours. Elle avait su aménagé la concession en un centre d’accueil pour les nécessiteux. Une pièce à l’arrière-cour servait d’infirmerie. Les chambres situées à l’aile gauche étaient réservées à ses pensionnaires. Et depuis la guerre qui avait secoué le pays, Dieu seul savait, combien elle en recevait. Pour préserver aussi bien son intimité que celle de ses pensionnaires, elle avait fait une deuxième porte qui servait d’entrée au centre. Ainsi, ses patients, comme elle aimait les appeler, pouvaient aller et venir, à leur guise. Mme Koumoué était beaucoup sollicitée ; en plus de ses trois employés de maison, elle se faisait aider par cinq bénévoles. Le centre tournait grâce à sa pension, mais aussi grâce à l’aide de ses enfants et de certains particuliers.
Ayaba, s’arracha à ses pensées et sonna. Quelques instants après, Mounia vint ouvrir la porte. Bonne arrivée Madame, cria –t – elle en reconnaissant la visiteuse.
- Mouni ! Tu as mis du temps ! Je vous croyais tous partis en voyage, dit- Ayaba en riant.
-C’est que nous sommes débordées à la cuisine. Mamita (le nom donné à Mme Koumoué) reçoit ses filleuls à déjeuner, répondit- Mounia en refermant le portail.
-Je tombe bien alors ! S’exclama Ayaba.
-En tout cas une paire de bras sera la bienvenue.
La maison de son enfance agissait comme un baume sur le cœur d’Ayaba. Elle se sentait toujours apaisée quand elle en franchissait le seuil. Même si ses visites n’yétaient pas régulières, elle était toujours contente de retrouver l’univers de son enfance. A part les aménagements pour le centre, Mme Koumoué avait gardé la décoration afin de préserver le souvenir…
-Bonjour ! Bonjour ! Puis-je me rendre utile ? Mais je ne veux pas découper les oignons, dit Ayaba en riant.
-Ne t’inquiète pas Youyou, répondit Affala, la voisine de sa mère, nous avons fini avec les oignons.
-Eh Tantie ! En courant se jeter dans ses bras, Comment vas-tu ? Il ya longtemps !
- Bien. Merci. J’étais à Yezimala pour le mariage de ma nièce. Je suis arrivée seulement hier. Qu’est-ce qui se passe ? Poursuivit – elle, c’est « miss » tu veux faire ? Tu as maigri comme ça !
-Non tantie, lui dit –elle en éclatant de rire, j’étais un peu souffrante.
-Ah bon ! Et maintenant, ça va ? De toutes les façons, j’ai envoyé des médicaments du village. D’ici peu, tu retrouveras ta forme.
-Merci. Je passerai chez toi plus tard. Et maman ?
-Elle est à la salle à manger.
-Bon je vais la rejoindre, à tout à l’heure.
Affala avait toujours eu un faible pour la benjamine des Koumoué. Et celle-ci le lui rendait bien. C’était sa deuxième maman. C’était à elle qu’Ayaba confiait ses peines de cœur. Elle fut la première personne à rencontrer Zokora. Aussi c’est avec consternation qu’elle apprit le décès de celui-ci. Elle était aux côtés d’Ayaba jusqu’au terme de son veuvage. Depuis, elle priait pour que son « Youyou » refasse sa vie. Elle était jeune, belle et avait la vie devant elle.
En marchant sur le gravier qui menait à la salle à manger, elle se rappela les tours qu’elle avaitjoués à Yann et Ismaël et sembla entendre leurs cris.
Ce n’était pas une salle à manger ordinaire. C’était en fait, un grand appatam réservé aux grandes occasions. Les tables étaient déjà dressées. Mme Koumoué était au centre. Elle donnait des directives pour attacher les guirlandes. Et se retourna pour prendre du scotch, ce fut à ce moment qu’elle vit Ayaba. Celle-ci se fraya un chemin entre les tables, se jeta dans les bras de sa mère, l’embrassa.
-Mamita, mamita, ne cessa t- elle de répéter.
-N’nan, seuls ses parents l’appelaient ainsi, je suis contente de te voir. Tu tombes bien ; tu pourrais t’occuper de la pâtisserie…
-Mamita. Je viens à peine d’arriver et déjà le travail, dit Ayaba en riant.
-Je sais N’nan, répliqua sa mère sur le même ton, le travail d’abord et après tu te feras dorloter. Au fait Maman Affala est là. Tu l’as vu ?
-Oui. Bon j’y vais.
-D’accord, fit Mme Koumoué en tendant le rouleau de guirlandes au décorateur, mais ne traînes surtout pas.
-A vos autres, Colonel, conclut Ayaba en s’enfuyant vers la cuisine.
Sept heures plus tard, l’appatam qui grouillait de monde fut désert. Les chaises empilées. Tout fut nettoyé et mis en l’état. On pouvait affirmer que Mme Koumoué avait su mener son petit monde à la baguette avec la rigueur d’un gendarme et la douceur d’une mère attentive.
Après la réception, Ayaba s’était retrouvée dans sa chambre. Mme Koumoué avait décidé de conserver les chambres de ses enfants en l’état, afin de pouvoir les recevoir à tout moment. Ce qui permit le raffermissement de leurs liens.Elle revit les moments intenses passés en ces lieux : sa chute de la balançoire qui lui avait valu une dent cassée ; la soirée donnée pour son vingt-huitième anniversaire. Comme tout cela semblait loin. Une éternité s’était écoulée entre ces moments et maintenant. Fini l’insouciance. Je suis séropositive.
NENE Fatou
225NOUVELLES.
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